Difficultés d'accès aux Antirétroviraux dans les pays d'Afrique Francophone: Etat des Lieux en 2004
Publication date: 2006
Médecine Tropicale • 2006 • 66 • 6 589 Politiques nationales DIFFICULTÉS D’ACCÈS AUX ANTIRÉTROVIRAUX DANS LES PAYS D’AFRIQUE FRANCOPHONE : ÉTAT DES LIEUX EN 2004 C. BOISSEAU, H. DEGUI, C. BRUNETON, J.L. REY L’Afrique est le continent le plus touché par le fléau dusida, ce continent représente 90% des sujets infectés par le VIH alors que sa population s’évalue à 11-12% de la popu- lation mondiale (1). D’autre part pour obtenir une efficacité correcte des antirétroviraux (ARV) et éviter l’apparition de souches résistantes il faut un suivi des prises thérapeutiques supérieur à 90% (2). Or les premières études sur l’observance des traitements ARV ont montré qu’une des causes les plus fréquentes de mauvaise observance était la non disponibilité des ARV en raison de ruptures d’approvisionnement (3). Pour mieux appréhender cette question de la non dis- ponibilité des ARV alors que de nombreux programmes exis- tent et financent ces médicaments, deux organismes se sont associés pour dresser un état des lieux de la situation en Afrique francophone. ReMeD (Réseau Médicaments et Développement) et Esther (Ensemble pour une Solidarité Thérapeutique Hospitalière En Réseau). Une enquête a été menée sur l’approvisionnement et les prix des ARV dans 18 pays d’Afrique francophone. MÉTHODES Après contacts avec les directeurs de centrale d’achat et pharmaciens des programmes de lutte contre le sida, un questionnaire a été envoyé dans chaque pays. Les données recueillies concernaient la période allant de juin à octobre 2004. Après réception du questionnaire un entretien télé- phonique était réalisé pour préciser les réponses. Ce questionnaire comportait des questions sur la situa- tion du VIH/sida dans le pays, la liste des principaux ARV utilisés, les sources et modalités d’approvisionnement national, l’existence et les causes des ruptures de stock, les prix de cession des ARV. Les pays suivants ont participé à l’enquête : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Conakry, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo. RÉSUMÉ • Une enquête par questionnaire et entretiens avec les responsables de centrale d’achat et de programme de lutte contre le sida a été réalisée de juin à octobre 2004 dans 18 pays africains francophones. Durant cette période les réponses à cette enquête ont montré que 33000 patients étaient sous traitement ARV, ce qui correspondait à un taux de traités par rap- port aux patients nécessitant un traitement ARV de 0,1 à 9,6%. Tous les pays ont connu des ruptures d’approvisionnement en ARV dont les raisons sont multiples, pour l’essentiel des raisons budgétaires et de complexité des procédures des bailleurs de fonds. Les prix demandés aux patients sont très variables et dépendent de la politique des états. Les prix de cession aux struc- tures de santé varient aussi et dépendent des prix d’achat donc des capacités de négociation des centrales d’achat. Pour amé- liorer l’accès généralisé aux traitements tout en limitant toutes ruptures d’approvisionnement il est nécessaire de multiplier les formations sur la gestion et la distribution des médicaments et il serait souhaitable de mettre en place une meilleure cir- culation des informations entre responsables nationaux d’achat. MOTS-CLÉS • ARV - Approvisionnement - Coûts - Afrique. POOR ACCESS TO ANTIRETROVIRAL TREATMENT IN FRENCH-SPEAKING AFRICA: SITUATION IN 2004 ABSTRACT • A survey by questionnaire and interview was carried out with persons in charge of purchasing central struc- tures and AIDS control programs in 18 French-speaking African countries between June and October 2004. Survey data sho- wed that a total of 3300 patients received antiretroviral (ARV) treatment during the study period. This corresponds to a treat- ment rate of 0.1 to 9.6% of the number of patients requiring ARV treatment. All countries reported interruptions of the ARV supply for a variety of reasons. The main causes were budgetary issues and procedural complexity involving financial aid. The prices charged to the patients varied greatly in function of national policies. Cost price also varied in function of the negotia- ting leverage of the purchasing central. Improve general access to ARV treatment and reducing the number of supply shor- tages will require more training in management and distribution of medicines. It would also be useful to improve communi- cations between the persons in charge of national purchasing structures. KEY WORDS • Supply – Cost – Africa. • Travail de ReMeD (C. B., C. Brun., Médecins), Paris et de Esther (H.D., J.L.R., Médecins), Paris, France. • Correspondance : Docteur C. BOISSEAU, ReMeD, 35 rue Daviel, 75013 Paris, France. • Courriel : remed@remed.org • Article reçu le 21/02/2006, définitivement accepté le 20/11/2006. Med Trop2006 ; 66 : 589-592 Médecine Tropicale • 2006 • 66 • 6590 C. Boisseau et Collaborateurs Cette enquête avait pour objectifs de dresser un état des lieux de l’approvisionnement et des prix des ARV dis- pensés aux malades en 2004. Pour cette première étude seuls les médicaments de première ligne étaient concernés. RÉSULTATS Nombre de patients traités Durant cette période, 33 000 patients avaient été trai- tés par ARV dans l’ensemble de ces pays. On constate de très grandes disparités entre les pays ; le Cameroun et le Rwanda prenaient en charge les plus grands nombres de patients (res- pectivement environ 9 000 et 4 000 malades) et à Madagascar et en Mauritanie, il existait très peu de patients sous traitement. Tous les pays avaient mis en place des stratégies nationales d’accès aux ARV : des protocoles nationaux étaient publiés et diffusés. Dans la plupart des cas ces pro- tocoles étaient adaptés du document OMS (4). Accessibilité au traitement Le nombre de centres de traitement variait aussi beau- coup. Dans certains pays comme le Niger ou Madagascar, il n’existait qu’un seul endroit où l’on pouvait se procurer des ARV et ce chiffre pouvait monter jusqu’à trente dans d’autres pays. Les patients traités étaient mis en traitement et venaient chercher leurs médicaments dans des centres de référence ; leur nombre et répartition géographique jouent un rôle majeur dans l’accessibilité aux soins des patients (Tableau II). Approvisionnement et financement des ARV Sur les 18 pays concernés, 15 avaient au moins deux sources de financement différentes. Tous les pays de l’étude allaient recevoir ou avaient déjà reçu une subvention du Fonds Mondial. Dans 11 pays, l’Etat était impliqué et finan- çait l’achat d’ARV. La Banque Mondiale était également un bailleur de fonds dans 6 de ces pays. Les centrales d’achat nationales de médicaments essentiels utilisaient directement leurs fonds propres dans 4 pays (Burkina Faso, Cameroun, Rwanda, Togo). Les autres bailleurs de fonds étaient des ini- tiatives privées ou associatives (dans 3 pays), les coopéra- tions bilatérales ou l’Union Européenne (3 pays), le pro- gramme présidentiel américain (PEPFAR) (2 pays) et Esther (2 pays). Concernant l’approvisionnement des ARV, l’orga- nisme chargé de cette activité était très majoritairement la centrale d’achat du pays concerné (12 pays). Trois pays avaient choisi de confier les achats en ARV au Programme National de Lutte contre le sida (PNLS), qui est un service rattaché au Ministère de la santé ou à la primature. Dans le cadre du programme du Fonds mondial, l’UNICEF avait été choisi comme sous récipiendaire pour s’occuper de l’ap- provisionnement dans 4 pays (Rép. Centrafricaine, Guinée Conakry, Tchad, Togo). Enfin, à Madagascar et au Niger, ce sont des associations qui géraient cette activité. Dans tous les cas ces approvisionnements étaient réalisés en parallèle aux commandes, approvisionnement et distribution des autres médicaments essentiels ou non. Tous les pays connaissaient des ruptures de stocks en ARV. Au niveau central, la première cause invoquée par neuf pays était un retard de livraison de la part des laboratoires fournisseurs de médicaments qui ne respectaient pas les délais mentionnés sur la commande ferme. Pour 5 pays, les Tableau I - Nombre de patients mis sous traitement ARV dans les pays enquêtés. Taux prévalence* Nombre Pourcentage % patients traités* traités ** Algérie 0,3 300 0,5 Bénin 1,9 1 500 5,9 Burkina Faso 4,2 3 200 3,5 Burundi 3,6 3 000 3,0 Cameroun 11,8 9 000 2,5 Centrafrique 17 300 0,2 Congo Brazzaville 6 350 1,0 Côte d’Ivoire 9,7 3 500 1,1 Gabon 8,1 1 750 9,4 Guinée CK 2,8 500 1,3 Madagascar 1 17 0,1 Mali 2,7 2 200 3,7 Mauritanie 0,5 12 0,5 Niger 0,9 100 0,5 Rwanda 11 4 036 2,2 Sénégal 1,4 2 700 9,6 Tchad 8 600 0,5 Togo 6 1 500 2,6 * Données fournies par les responsables de la centrale d’achat et du PNLS ** Taux des patients traités sur personnes infectées nécessitant un traite- ment soit 30% des personnes infectées (1-2). Tableau II - Situation des centres de traitement en 2004. Nombre de Superficie Nombre patients centres couverte (Km2) à traiter Algérie 7 340 000 9 000 Bénin 13 8 700 1 950 Burkina Faso 30 9 100 3 080 Burundi 17 1 600 2 950 Cameroun 21 22 600 16 850 Centrafrique 6 103 000 17 850 Congo Brazza 2 170 500 18 000 Côte d’Ivoire 12 26 800 25 850 Gabon 7 38 100 2 660 Guinée CK 3 81 600 13 000 Madagascar 1 587 000 35 200 Mali 7 177 100 8 500 Mauritanie (1) 200 000 250 Niger 1 990 000 18 750 Rwanda 11 2 400 17 000 Sénégal 13 15 000 2 150 Tchad 7 180 000 17 140 Togo 3 19 000 19 200 Difficultés d’accès aux antirétroviraux dans les pays d’Afrique francophone : état des lieux en 2004 ruptures avaient eu lieu en raison de budget insuffisant, ou de décaissement des budgets spécifiques trop tardif. L’évaluation des besoins effectifs des personnes mises sous traitement était une difficulté évoquée plus précisément par 5 pays : les quantités d’ARV nécessaires étaient difficiles à prévoir, car la consommation était exponentielle et le nombre de personnes nécessitant des ARV toujours croissant. Dans 2 pays, les responsables avaient également cité une mauvaise planification des commandes. Un autre problème cité dans 2 pays portait sur les prescriptions d’ARV : le non- respect par les prescripteurs des protocoles thérapeutiques nationaux ne permettait pas aux patients d’obtenir les médicaments prescrits puisque ceux-ci n’étaient pas sur les listes d’achats autorisés. Cela faussait donc les prévisions de consommation et entraînait ainsi des ruptures de stocks et /ou des « sur- stocks» avec risques de péremption. • Prix de cession des ARV On a distingué 3 différentes modalités de mise à dis- position des ARV par les pays : - le traitement était gratuit pour le patient ; - le patient payait un forfait, quels que soient les ARV qui lui étaient prescrits ; - le patient achetait ses ARV, comme tout autre médi- cament. Le traitement était gratuit pour tous les patients en Algérie, au Burundi, à Madagascar, au Mali et au Sénégal, pour les enfants au Bénin et en Côte d’Ivoire, pour les enfants et les femmes enceintes au Gabon. Des forfaits étaient demandés aux patients de la façon suivante : - au Bénin : de 1 000 à 20 000 FCFA selon les reve- nus du patient ; - au Burkina Faso : 5 000 FCFA si le patient était inclus dans un programme; - au Congo Brazza : 40 000 FCFA au maximum; - en Côte d’Ivoire : 5 000 FCFA par trimestre ; - au Gabon : 2 000 FCFA à 10 000 FCFA selon les revenus du patient ; - au Togo : 5 000 FCFA si le patient était inclus dans le programme du Fonds Mondial. Enfin, il restait 4 pays où le patient achetait directe- ment les ARV prescrits. Le tableau III donne les prix de cession de base selon les pays. Ces prix ne sont pas appliqués forcément aux patients, ils servent de base au calcul pour la comptabilité des achats. Le prix demandé aux patients dépend de la politique nationale, il est en général inférieur au prix de cession, la dif- férence étant subventionnée par l’Etat. Par ailleurs, pour la combinaison générique Triomune 30 ou 40 (association à dose fixe de lamivudine, stavudine et névirapine) le prix de cession varie de 16 000 CFA par mois en Centrafrique à 14 500 au Togo, 12 050 au Burkina Faso et 3 000 au Cameroun. DISCUSSION L’enquête a permis d’établir un état des lieux de l’ac- cessibilité des patients aux ARV en Afrique francophone et des difficultés rencontrées par les personnes impliquées dans cette problématique. Les chiffres indiqués dans les tableaux correspondaient aux renseignements fournis par les respon- sables d’approvisionnement en ARV il n’étaient pas toujours identiques aux données officielles colligées par ONUSIDA mais ils reflétaient la distribution des traitements ; d’autre part le dernier recueil datait de octobre 2004, comme les évolu- tions dans le domaine du sida sont rapides, ces données ne représentaient que la situation à cette date. Il serait très inté- ressant de faire une enquête similaire tous les ans pour éva- luer ces changements. La multiplicité des sources de financement rend la gestion des achats et la distribution des ARV très complexes sur le terrain. En effet, si un pays reçoit des financements de plusieurs bailleurs de fonds, il aura autant de stocks différents d’ARV. Chaque stock était de plus destiné à une catégorie de patients particulière définie par le programme soutenu par le bailleur. Les activités de gestion et de compte-rendu de telles situations étaient lourdes à gérer dans la pratique quotidienne. De plus l’intervention de différents bailleurs de fonds avec leur philosophie propre explique les différences de prix demandées aux patients selon les pays et parfois dans un même pays. Certains fonds de la Banque Mondiale ne sont utilisables que si la gratuité est assurée au patient, les autres payent le tarif national référencé plus haut. Une homogé- néisation des procédures d’approvisionnement et distribution serait souhaitable, l’existence dans ces pays depuis 1995 de centrales d’achat au fonctionnement transparent et conforme aux bonnes pratiques est un atout à exploiter, quitte à ren- forcer la formation des acteurs et soutenir leur fonctionne- ment. De plus des ruptures dues aux retards des finance- ments étaient à relier aux procédures administratives lourdes qui ne permettent pas une planification adéquate en fonction des inclusions de nouveaux malades Médecine Tropicale • 2006 • 66 • 6 591 Tableau III - Comparaison de prix de cession en F CFA des principaux ARV DCI Burkina Faso Cameroun Gabon Togo Lamivudine 150mg bte 60 cp 3 420 7 054 7 200 4 050 Efavirenz 600 mg, bte de 30 cp 20 950 19 000 15 317 20 000 Stavudine 30mg bte de 56 cp 2 872 2 895 2 935 3 000 Didanosine100mg 60cp 9 897 8 966 9 426 10 000 Nelfinavir 250 bte de 270 cp 41 035 49 261 37 850 39 110 Indinavir 400 mg bte de 180 cp 34 438 14 685 35 251 27 000 Médecine Tropicale • 2006 • 66 • 6592 C. Boisseau et Collaborateurs Aucun Etat, en dehors du Gabon, n’a encore eu la capacité de financer en totalité les besoins en traitements des personnes infectées par le virus, ce qui pose le problème de la pérennité de cette activité. Tous ces programmes ont des durées limitées dans le temps. Il est nécessaire de poursuivre le plaidoyer pour une plus forte implication de la commu- nauté internationale dans le soutien aux personnes vivant avec le VIH/sida. Les différences de prix constatées d’un pays à un autre pouvant aller du simple au double montre que les procédures d’appel d’offres et de négociation étaient peu efficaces, des formations spécifiques sont nécessaires. Il est apparu d’autre part, que dans les pays où la centrale utilisait ses fonds propres les ruptures étaient plus rares, car l’existence d’un fonds de roulement important est absolument nécessaire pour faire face à différents problèmes de retard ou de non paiement. Depuis 2001 et la mise en place de programmes de traitement par les ARV dans les pays touchés par l’épidémie de sida, l’accent avait été mis sur la formation d’équipes soi- gnantes dans les hôpitaux des grandes villes des pays afri- cains. Aujourd’hui, l’élargissement du nombre de sites de traitement dans les structures de santé périphériques néces- site un changement dans l’organisation des approvisionne- ments et de la distribution des ARV. Cette étude a permis d’identifier les principales difficultés auxquelles étaient confrontés les acteurs de la chaîne du médicament. CONCLUSION Ce travail a permis d’identifier les faiblesses du sys- tème d’approvisionnement et de distribution des ARV dans les pays d’Afrique francophone. Il a servi à ESTHER (5) et ReMeD (6) pour documenter et proposer un projet de sou- tien transversal destiné à l’amélioration des pratiques dans ce domaine. L’objectif était et reste d’éviter les ruptures dans la chaîne de mise à disposition des ARV pour garantir aux patients traités ou en attente de traitement une disponibilité régulière en ARV. A court terme, un stock tampon mobili- sable par les praticiens sur le terrain est mis en place, pour permettre en urgence de répondre aux besoins des patients. Pour assurer la pérennité des systèmes d’approvisionnement et de distribution, des actions de soutien technique et logis- tique doivent être mises en œuvre n Remerciements • Merci à tous les responsables de centrales et de PNLS pour leur collaboration. RÉFÉRENCES 1 - ONUSIDA - Programme commun des nations unies contre le VIH-sida. 2004. Le point sur l’épidémie de sida. Décembre 2004 ; 1-7 : 19-31. 2 - DELFRAISSY JF et Coll - Prise en charge thérapeutique des personnes infectées par la VIH. Recommandations 2004, Flammarion ed, Paris. www.sante.gouv.fr/vie/dossiers/tritherapie 3 - LAURENT C, DIAKHATE N, NGOM-GUEYE NF et Coll - The sene- galese governement’s highly active antiretroviral initiative: an 18 months follow-up study. AIDS 2002 ; 16 : 1369-70. 4 - OMS - Améliorer l’accès aux traitements antirétroviraux dans les pays à ressources limitées : recommandations pour une approche de santé publique. Révisions 2003 et 2006. 5 - www.esther.fr 6 - www.remed.org Figure 1 - Présentation des ARV dans la centrale d’achat du Cameroun.
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